Thirties

Des épisodes épicés que l'on compose à partir d'histoires et déboires de trentenaires, à la ville comme à la scène. Une grande tablée où il n'y a pas de règles, venez vous installer.

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Par Margaux Rouche
16 mai · 5 mn à lire
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Épisode 4 : Manger des spaghettis entre amis

Si à vos 25 ans, on vous avait annoncé que vos amis ne seraient plus forcément les mêmes dix ans plus tard, est-ce que vous y auriez cru ? Moi non. La distance, le travail, l’amour interfèrent nos relations mais pas seulement : il y a le sujet de l’argent.

Musique de fond : Mo Money Mo Problems" - The Notorious B.I.G. ft. Puff Daddy & Mase

Chaque décennie s’accompagne de changements, et c’est bien logique. Il est rare de garder un même entourage toute une vie. Comme on aime le dire, on ne choisit pas sa famille mais bien ses amis. C’est donc avec regret que je constate que j’ai perdu de vue des personnes que j’aimais profondément plus jeune. Ma copine d’école primaire occupe peut-être une fonction haut placée à l'ONU, ou une cellule en prison pour avoir liquidé son mari. Je n’en sais et n’en saurais rien car j’ai même oublié son nom de famille. J’exagère, j’ai grandi dans une ville où tout se sait. Un scoop pareil me serait revenu aux oreilles et je pourrais retrouver son profil sur un réseau social en peu de temps.

How much ?

Nos groupes d’amis évoluent, bougent et s’ajustent. On commence par pointer les relations amoureuses du doigt et les responsabiliser quant à la perte d’êtres chers ou au sentiment d’exclusion qu’on peut ressentir. On ne va pas nier la triste réalité selon laquelle les ruptures impactent la vie sociale, les séries américaines et mes trois ex me l’ont expliquée. Non pas que l’amour ne soit plus une thématique passionnante, bien au contraire, je réfléchis depuis peu à un sujet frileux qu’il est bon d’aborder à nos âges. Celui dont on ne doit pas prononcer le nom en sphère publique, les cinq lettres qui contribuent et façonnent notre qualité de vie : l’argent. Autrement appelé dans nos sociétés modernes “tune”, “flouze”, “bif”, “héritage” ou “patrimoine bitcoin”, il est le nerf de la guerre. Et puisqu’on parle money money money dans un pays très développé, je tente la question fatidique : quel rôle l’argent joue-t-il dans votre vie sociale passé 30 ans ?

Ah, je vous vois rouler des yeux en tentant de vous convaincre que votre salaire ou vos moyens ne vous définissent pas.

Le Loup de Wall StreetLe Loup de Wall Street

Une Ferrari 360 spider avec le pot d’échappement d’une Fiat Panda ?

A l’heure où l’on préférerait répondre “Je ne suis pas matérialiste, darling”, on se doit d’admettre que l’argent occupe le siège passager de cette voiture que l’on a louée, achetée, commandée (VTC only), ou prétendue posséder aka la douille du leasing et les voitures de fonction. Madonna avait raison, or les leçons de la vie laissent penser qu’au final… La couleur de la CB ne doit pas impacter les relations avec ses vrais amis. De toute façon, vous pouvez aujourd’hui commander une black card chez Revolut avec 100 balles sur votre compte.

Certains peinent à démarrer l’engin, d’autres vivent leur trentaine à bord d’un joli cabriolet. L’argent est tabou. Et c’est en échangeant avec Sandrine Dorbes, experte en rémunération et conférencière, que j’ai compris que le flouze était devenu un sujet bien plus profond pour certains d’entre nous. Il obsède, crée des tensions, des manques de confiance en soi et des disparités au sein de couples, de groupes d’amis, de collègues. Moteur des foyers, il devient dès 30 ans un index de classe pour beaucoup mais aussi un sujet politique.

Capitalisme, égo, concours de zizi et responsabilité 

Il est finalement question d’un manque d’éducation financière dans le cadre personnel comme professionnel. Ce ne sont pas les écarts salariaux qui posent un souci mais la dimension politique qui résonne derrière des situations de vie : une augmentation pour une femme revenant de congés maternité, l’accès à l’éducation, la mobilité, l’industrie publique ou privée que l’on décide comme plan de carrière. Il faut être à l’aise avec ce qu’on entreprend, accepter que d’autres ne le respectent pas. On en revient à choisir son camp, c’est ce message qui pose problème aux individus. On n’a pas conscience de son rapport à l’argent et on ne comprend pas celui d’autrui” m’explique Sandrine Dorbes, fondatrice de How Much, un cabinet accompagnant les entreprises dans leurs pratiques en matière de rémunération.

L’argent ne fait pas le bonheur, “macash”

L’avantage quand on fréquente ses collègues, c’est qu’on partage souvent des portefeuilles similaires. Sauf qu’on préfère souvent dissocier ces deux univers, cannibalisés par la compétition. On aime aussi beaucoup faire des breaks après ses journées de boulot, et retrouver ses copains de toujours le weekend. C’est là que la différence se ressent. Il suffit d’une soirée ou d’un projet de vacances à 35 ans pour qu’un fossé financier se creuse entre deux potes qui bossaient ensemble au macdo l’été 2004. 

Véridique, on n’évolue pas avec les mêmes bagages (héritage, encadrement parental, parcours scolaire), avec les mêmes priorités de vie (il y a les work addicts, il y a les autres), dans les mêmes villes ou caractères (confiance en soi, intérêts). Comme expliqué précédemment, on entretient chacun un rapport spécial avec l’argent - on peut difficilement le reprocher à son entourage même si j’adore utiliser le mot “pince” une fois de temps en temps. Si votre meilleur ami ne vous a jamais invité au restaurant, c’est parce qu’il a d’autres qualités. Si votre mec vous demande de partager la note d’un weekend romantique et que ça vous dérange, alors changez. Si vous faites mine de pouvoir payer un jambon-beurre à 19 balles au Club 55 de Saint-Tropez, arrêtez.

Celui dont on ne doit pas prononcer le nom

Parlez-vous de salaire avec vos copains ? Si oui, vous êtes un ovni et il est probable que vous gonfliez un peu ce qui tombe sur votre compte tous les mois. La rémunération est complètement taboue. “Je travaille depuis plus de 15 ans dans ce milieu et je peux compter sur les doigts d’une main les amis qui m’ont demandé conseil à ce sujet. Quand c’est abordé, on confond notre valeur en tant qu’individu avec celle de notre CV sur le marché du travail !” ajoute Sandrine Dorbes.

Selon l’experte en rémunération, notre cerveau serait en pilote automatique quand on parle de tune. Pour imager : si je donne mon salaire à ma BFF Sophie et que j’apprends qu’elle gagne beaucoup plus que moi, alors je risque de me rabaisser naturellement. Je vais m’interroger sur ce que j’apporte à la société, à mes compétences et à mes choix de vie. Si Sophie me répond qu’elle gagne en fait moins que moi, je n’en aurais rien à foutre, je ne vais pas trop me poser de questions et me conforter dans l’idée que je m’en sors bien. On se compare très souvent à l’autre, surtout lorsqu’on a eu une histoire croisée à un moment donné.

Parfois même avec son conjoint, l’argent est persona non grata. Selon une étude réalisée par l’IFOP pour le média ViveS en 2022, seules 32% des femmes au sein d’un couple seraient à l’aise avec le sujet. Près de 8% d’entre elles en France admettaient ne jamais en parler. N’hésitez pas à changer les codes, ça m’a coûté une douille jusqu’ici.

Louer un château en Espagne

Fréquenter des personnes de différents milieux socio-professionnels, c’est intégrer des budgets et moyens financiers différents. Louer une baraque quinze jours dans le Luberon, recevoir toute la smala comme des rois, se taper un dimanche midi des familles en terrasse, enchaîner les sorties… On ne peut pas tous s’aligner et on ne parle sousous que lorsqu’il faut faire les comptes, créer un tricount, choisir un resto ou booker un co-living pour les vacances. Celle qui gagne plus peut culpabiliser de son niveau de vie, celui qui gagne moins se contente de ce dont il peut jouir ou regarde l’herbe d’à côté en se disant que son ami de toujours pourrait partager.

The White Lotus, saison 2The White Lotus, saison 2

Lydia, cette nana hors de prix

Alors oui, il faut accepter que la bonne conduite reste de vivre à hauteur de ses moyens. Nous parlions récemment avec ma cousine des budgets mariage, notamment du rôle de témoin qui coûte le prix d’un PEL. Gardons par ailleurs nos économies pour des EVJM (enterrement de vie de jeune mariée), la flopée de divorcé(e)s qui arrive sur le marché vaut bien quelques weekends entre copines.

Marina, 33 ans, que je ne connais pas tant que ça d’ailleurs, m’a mis la puce à l’oreille en m’écrivant sur Instagram l’autre jour. En toute innocence, elle m’envoie un DM stipulant “Tu comptes mettre combien dans la cagnotte d’anniversaire de Jenna - si ce n’est pas indiscret bien sûr ?”. Enfant, on nous répétait que l’important, c’était de participer. J’ai envie de lui répondre “10 euros, je connais Jenna depuis deux mois” et je dois déjà ramener une bouteille de champagne (comme noté sur son invitation Canva). J’ai honte.

Depuis les réseaux sociaux, les stories Instagram de qui aura les plus belles vacances et la multiplication des cagnottes en ligne, c’est un nouveau poulailler. 

Qui misera enfin sur un montant juste, à hauteur de ce qu’il peut et veut vraiment donner ? Je sens la gêne dans le message de Marina et je la comprends, mon Lydia compte des collectes aux noms ahurissants type Fiançailles Daphnée, 18 mois Samuel, FX a fini le marathon, Crémaillère post-divorce David ou encore Jenna, une montre pour ses 30 ans. Putain. Il lui faudra potentiellement toute une vie pour prétendre à une Rolex mais Marina, 39 ans, se sent obligée de verser 100 balles pour que la nouvelle copine de son vieux pote Martin fanfaronne roro au poignet.

Les bons comptes font les bons amis mais sharing is caring

Il ne faut pas déconner non plus et comprendre que les amis sont finalement faits pour passer du temps ensemble et point. Si vous espérez faire ce golf hors de prix avec lui, alors invitez-le. Et si vous avez honte de lui confier que vous ne pouvez pas aller au restaurant cette semaine, dites à votre bonne pote que vous avez la meilleure des carbos maison (ou pas, allez chez Picard) qui l’attend à votre table. La musique et le vin seront sans doute mieux sélectionnés.

Plutôt que des applications à trois francs, des cagnottes Lydia qui grouillent comme des fourmis, des listes de naissance Facebook, des petits comptes et des défilés ostentatoires au marché le samedi matin, retrouvez la simplicité de vous faire plaisir en bonne compagnie. 

Finalement, mieux vaut manger des spaghettis entre amis que du caviar avec des connards, non ?

P.A (Plaisirs Assumés) : la robe piment de Reformation et un weekend entre copains au Hoxton Rome.