Thirties

Des épisodes épicés que l'on compose à partir d'histoires et déboires de trentenaires, à la ville comme à la scène. Une grande tablée où il n'y a pas de règles, venez vous installer.

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Par Margaux Rouche
12 juil. · 5 mn à lire
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Épisode 10 : Girlboss à la dérive

C'est en apprenant le prochain remake de Disney+ du Diable s'habille en Prada que l'idée me vient. Je pense à la "girlboss", à ce mot que j'ai vénéré avant de le détester aujourd'hui. Je dégaine l'ordi et me voilà à romancer ces anecdotes dont j'ai été témoin, première concernée ou que l'on m'a contées.

Musique de fond : Bad Girls, M.I.A

Prise d'un fou rire, je réalise qu'il n'y a pas de meilleur sujet pour ce 10ème épisode. Girlboss, women empowerment, sororité, girlpower… ces termes ont plu dans les entreprises des quatre coins du globe, hurlés par des femmes occupant des postes à responsabilités et fières de leur parcours (bravo quand même, btw). Junior, j’admire ces figures dynamiques qui n’ont peur de rien, qui visent à donner une voix à toutes celles qui n’en ont pas et qui semblent conjuguer idéalement leur vie personnelle et professionnelle. Elles sont bien dans leurs baskets, claquent des petites photos de famille sur le bureau et encouragent les plus jeunes à se dépasser. Pour 20% d’entre elles, c’est vrai - elles aiment l’image positive que ce champ lexical renvoie et l’entretiennent. Chez les autres, le terme girlboss est un cachet de “bonne conscience” qu’elles choisissent de s’approprier. Une hypocrisie, une sorte de label bio pour une pomme baignée de pesticides.

Monsieur Costes (pas l’hôtel, le professeur d’histoire du collège Jules Ferry de ma petite bourgade du Nord) avait raison : prenez garde, ne devenez pas ce fruit pourri tombé de l’arbre avant qu’il ne mûrisse. S’il me balance ça tandis que je suis bonne élève, c’est parce que je m’apprête à faire exploser mon blanco dans les cheveux de ma voisine de pupitre. J’ai 15 ans et j’espère faire rire les garçons. Sororité de mes fesses, je suis une peste et mon karma me le rend aujourd’hui avec des cheveux blancs. N’empêche que cette phrase reste gravée en moi à jamais.

Le diable s’habille en Zara

Elle est facile comme vanne, mais elle transpire la vérité aussi. La girlboss et sa trentaine d’années ont cette capacité à séduire les autres femmes et à les convaincre qu’ensemble, elles continueront sur les pas de leurs prédécesseuses pour que l’équité soit respectée au travail. La girl boss a tout d’une amie, d’une personne équilibrée qui a réussi grâce à des idées, une fibre entrepreneuriale et un esprit sain. Elle utilise les termes “charge mentale”, “bienveillance”, “déconnexion” et “balance pro-perso” plusieurs fois chaque semaine dans ses échanges avec ses équipes. Elle milite pour adopter un label b-corp histoire de chopper le tampon RSE pour ses exploits, elle déteste la fast-fashion et arrache les étiquettes Zara de ses vêtements, elle donne des podcasts sur l’importance du temps pour soi et se vante d’accorder des congés maternité à rallonge.

Suits, la série

Toxicité au travail

Pourtant, cette nouvelle interprétation de la belle-mère de Blanche-Neige n’est douce que pour faire croquer ce fruit empoisonné à sa victime. Comme si le seul ROI (retour sur investissement) calculé par ses soins résidait dans l'absorption de la beauté, de la jeunesse et de la douceur de ses recrues pour renforcer son statut de diva à trois balles. La girlboss pense à elle d’abord, et à l'image que les autres développent à son égard. Elle est souvent jalouse, jusqu’à choisir un bras droit qu’elle considère inoffensif pour n’en faire qu’à sa tête façon Beth Dutton et ses innombrables sbires dans la série Yellowstone.

Beth Dutton, la série Yellowstone

La girlboss pousse les membres de son équipe dehors, mais ne garde pas non plus ceux qui en font trop. Elle sait jongler avec son agenda Google pour sa pédicure du mardi, mais ne supporte pas l’idée que quelqu’un puisse prétendre travailler plus qu’elle. Elle n’est que rarement méchante mais sait planter ce décor digne du cimetière des hyènes dans le Roi Lion. Les lionceaux ont peur, se laissent berner tandis que Shenzi fait bouillir la marmite pour les bouffer.

She’s so busy

La girlboss veut incarner cette icône qui n’a le temps pour rien mais qui fait tout : elle pratique le yoga, la méditation, se lève très tôt le matin et se couche trois heures avant moi. Elle pouponne, picole à de rares occasions (une gorgée, elle fera “la fête à la maison” plus tard en meilleure compagnie), arbore une silhouette digne d’une chauve-souris Victoria’s Secret et laisse entrevoir ses bras dessinés par la boxe qu’elle pratique pour une raison qu’on ne souhaite pas connaître.

Cette idée selon laquelle la girlboss ne serait en fait pas si saine, ni féministe, ni bonne manager, je l’ai partagée avec bien des femmes cette semaine. Deux appels Instagram ont par ailleurs suffit à ouvrir les vannes des témoignages. Si Thirties n’a rien d’un tribunal, ce roman série a plutôt vocation à tourner de petites sciences en fiction, en histoires qui font rire et décomplexent de situations vécues. Merci à vous de partager vos ressentis, le sujet est vaste mais vos anecdotes m’ont valu des crampes d’estomac tant j’ai pouffé.

La petite Rosie et l’antre du lion

Quand Rosie finit ses études de littérature, ses stages dans l’édition et les médias la poussent vers l’écriture. Passionnée par la presse indépendante et surtout dans l’incapacité à trouver un poste sécurisé, elle se voit proposée d’écrire gratuitement (bah oui, le bénévolat finit par payer, non ? rires) dans un magazine de luxe qu’elle apprécie tout particulièrement. La reine mère de ce beau bébé mensuel, que l’on renommera G, est appréciée de tous, connue pour sa créativité et son appétence en mode, issue d’une grande famille de femmes parisiennes. Rosie l’admire, espère détenir un jour cette même prestance. Les mois passent puis le rêve se réalise : veux-tu rejoindre notre équipe en freelance ? Elle saute sur l’occasion, sans piger qu’il s’agit d’un CDI déguisé et qu’elle ne deviendra que l’assistante styliste d’une femme qui ne se rappellera en rien de son prénom. Elle récupère un diminutif d’animal de campagne et se voit demander d’arriver chaque matin à 8H pour rester au bureau jusqu’à la tombée de la nuit : “tu n’es pas sous contrat petit lapin, tu n’as pas d’horaires donc si j’ai besoin de toi, il faut rester.” Rosie n’a pas le droit de manger un sandwich dans l’open space, seules les salades sont autorisées et sa patronne ne s’adresse à elle que par notes vocales de huit minutes. La girlboss en fait ce qu’elle veut, c’est le jeu. Chaque mois, une nouvelle édition du magazine sort en kiosque, elle espère y voir son nom apparaître - elle en a composé toutes les tenues - mais l’excuse est bonne : “En tant que freelance, tu ne fais officiellement pas partie de l’équipe”. Fuck les congés payés, le respect, et le droit de participer aux événements des marques partenaires : “C’est pour les personnes plus sénior, ça viendra mon petit chou de Rosie”.

Le Diable s’habille en Prada, le film

Déni de grossesse et crapaud enchanté

Dans la même boîte, certains ont eu un tantinet plus de chance : la girlboss les a embauchés. C’est le cas d’Adélaïde, 35 ans, directrice commerciale. Un jour, elle est l’amie de la patronne. Le lendemain, elle est sa hantise et se retrouve au placard - tout dépend de l’humeur de G. Voilà sept ans que la jeune femme travaille au sein de cette régie, sans grande évolution puisqu’elle est seule au pôle développement business avec un stagiaire (encore). Elle lui a donné le titre de directrice pour faire mousser son égo il y a trois ans, mais Adélaïde n’a pas d’équipe. Par-contre, elle est enceinte de quatre mois, son deuxième enfant, et se voit flippée à l’idée de l’annoncer. G vit une rupture désolante, sa réaction pourrait être faussement heureuse et les conséquences difficiles pour la future maman. Epuisée et nauséeuse, Adelaïde se pointe en rendez-vous dans une grande maison de parfumerie, où G doit la rejoindre pour un énorme contrat. C’est elle qui a les moodboards, G veut les présenter et garder la vedette - la directrice commerciale sait qu’elle n’aura pas le droit de parler et n’a donc même pas pris la peine d’étudier le sujet. Dans le lobby, Adelaïde reçoit un appel de l’assistante de G. Le magazine va mal, cette opportunité pourrait le sauver. “Elle ne viendra pas, A. Elle est malade” lance Marie au téléphone. Paniquée, la jeune femme réalise la gravité de la situation et se voit déjà parent sans le sou : “Ce n’est pas possible, dis-moi immédiatement ce qu’il se passe, où j’appelle”.

La bombe est lancée, G. s’est offert un rite chamanique avec un crapaud. Une cérémonie nommée Bufo alvarius pour commencer une nouvelle vie soi-disant, et a donc accepté d’ingérer la bave de cette grenouille dégueulasse. Depuis, elle clouée au lit et ne peut plus bouger - vomissant ses tripes et laissant Adelaïde avec des clients pas contents. La colère monte, elle a la nausée elle aussi parce qu’elle travaille trop sans prendre suffisamment soin d’elle. Dégainant son téléphone, elle commence à clapoter un texto stipulant sa démission prochaine lorsqu’elle reçoit un message de G : “Tu vas assurer, je décale le meeting à demain et tu t’occupes de la présentation ce soir ? Tu es une vraie killeuse, je peux toujours compter sur toi, merci de ta bienveillance. Who runs the world ?”. Adelaïde est déjà sur place, et la voilà rebrousser chemin pour le bureau du magazine. G n’a jamais travaillé sur cette réunion et, entre un passage à la crèche, chez Monoprix et l’histoire du soir, Adelaïde doit trouver le temps de se lancer sur cette mission. La nuit est courte, elle aime la reconnaissance de sa boss mais pleure à chaudes larmes sur la chanson de Beyoncé.

Girlboss, la série

Individualisme, sexisme et malveillance

Certes, la girlboss distribue volontiers des stickers notés des termes “Women first” à ses employées et préfère embaucher des femmes ou des minorités. Oui, elle peut être généreuse parfois, donner de jolies récompenses (toujours plus) à ses camarades de classe pour leur démontrer sa gratitude. Seulement, il est bien commun de voir ces femmes au succès professionnel grandissant devenir des incarnations de ce qu’elles dénonçaient au début de leur carrière : compétition malsaine, jalousie, manipulation et manque d’empathie sont des ressentis bien trop présents dans les entreprises à haut pourcentage féminins. La girlboss d’aujourd’hui est trop souvent cheap, à la dérive et prête à tout pour garder un cap qui n’en est pas un. Comme le karma fait pas mal les choses, prenons donc le bon chemin.

P.A (Plaisirs assumés) : Un massage chez Ho Karan et l’Huile de Nuit Seasonly pour se détendre en fin de journée.