Au lieu de pleurer parce que mes enfants refusent les brocolis, je mâchouille une sucette au miel, affalée dans un togo inconfortable. Ordinateur sur le ventre, pyjama tartan, je scrolle les promos de mes prochaines courses et j’envoie un « no go » à une copine proposant un verre de vin un jeudi soir. C’est tout. Rien d’héroïque. Juste novembre.
Musique de fond : Foaming, Day We Ran
Je me marre seule dans le canapé. Dire “non” à une sortie qui pourrait mal tourner, c’est dire “oui” à toutes mes conneries dans ce caddy digital que Chronodrive me livrera demain. Ma technique est simple, comme le jeu des coupons que l’on garde au coin du buffet dans l’entrée, je m’autorise des nouveautés mais seulement si elles sont bradées.
Pas par bêtise, je sais très bien que je dépense plus. Il y a le granola soldé, déjà trop cher pour trois raisins secs et de l’avoine soufflé. Les craquages protéïnés qu’on laissera traîner. Les légèretés censées préparer le frigo au gavage traditionnel de l’oie Margaux avant, pendant, après Noël. Alors je prends, je me sers, j’empile.
Et je me convaincs que ce Skyr au goût indéfini, celui que je n’aurai aucune envie d’ouvrir au petit matin avant qu’il ne périme, fera quand même l’affaire. Au pire, je me forcerai. Ce sera bien le seul à qui je ne dirai pas non, de toute façon.
À l’heure où le combo grilled cheese fait salle pleine dans les cafés bobo du coin, je m’entraîne à détendre ma mâchoire, celle qui se crispe un peu plus chaque année. Le visage joueur de l’été migre doucement vers celui de Maléfique puisque les journées raccourcissent et que les températures chutent. Ou du Grinch, soyons honnêtes : l’hiver fait peu de cadeaux à nos bonnes intentions.
Alors, fort heureusement, vient le moment de dire adieu à ce “oui” qui nous consume à petit feu. Le oui des barbecues spontanés, des petits ballons improvisés, le weekend en amoureux alors qu’on aimerait traîner, du boulot qu’on n’a aucune envie de prendre mais ce oui du “le ciel est bleu, le gars est gentil alors vas-y”. Trois lettres qui marient un crétin fini, s’embarquent dans une journée de canoë atroce, acceptent une cousinade ou descend les poubelles parce que son fils se sent fébrile mais parle à sa petite-amie de sixième non-stop sur notre propre téléphone. Le oui d’un ébat amoureux sous la douche alors qu’on a froid, celui qui s’engage à prêter ses bottes préférées ou à payer quelque chose qui ne lui revenait pas de financer.
Ce oui-là, celui qu’on sort par automatisme plus que par envie, glisse doucement hors champ dès le 1er novembre. Il s’efface sans bruit, sans drame, simplement remplacé par une lucidité tranquille, celle qui préfère rester posée, en garde rapprochée dans son canapé, avant de retourner saluer le monde. Ciao les bons, ciao les cons et vient l’heure de dire non.
On lui rouvrira peut-être la porte à cette petite affirmation, si le monde insiste vraiment, qu’il arrête de pleuvoir et quand nos batteries auront retrouvé un semblant de barres. En attendant, ce sont nos non répétés - nets, tranquilles, presque souverains - qui prouvent qu’on maîtrise encore le monde à distance quand il le faut. Une hygiène mentale en chaussettes trouées, plaid, lumière tamisée et orgie de chocolat devant la télé.
Comme dirait Maggie Nelson (et on l’adore), “le courage n’est pas toujours une avancée spectaculaire”. Parfois, c’est juste rester là où on est, immobile, et refuser poliment d’être happé par le tumulte. Un non calme. Un non propre. Un non qui n’a rien d’une rébellion, juste d’un instinct de survie civilisé.
P.A (Plaisirs assumés) : Un énième abonnement HBO, une nouvelle paire de bottes en caoutchouc Hunter et une parka Aige x Rouje.