S2 Ep 4 : la patience, cette foutue vertu

Sur le point de sortir de ma voiture pour hurler sur des livreurs, je fixe l’horloge du tableau de bord en serrant les dents. Mon visage, émacié par la tension matinale malgré mes pommettes d’enfant bien nourrie, trahit une frustration dont je suis la seule responsable : je vais (encore) être en retard.

Thirties
4 min ⋅ 17/10/2025

Musique de fond : Another clock, Parcels

Je râle, je grogne, et manque d’emboutir l’avant de mon hybride pour la deuxième fois en un mois. L’épisode du “stop pipi” à la station-service n’aurait donc pas suffi, alors que mon véhicule préférerait surveiller sa consommation d’énergie. Trop vite : impatiente et déjà bien occupée, je choisis la surcharge de tâches et de rendez-vous, persuadée que je peux évidemment tout faire.

Génération oui oui

Comme une ophtalmologue mal organisée, je cours après ma propre montre, réussissant à caser une douche de 20 minutes et un cours de sport dans ce qui est déjà un marathon. Je n’arrête de turbiner que rarement et préfère défier mon incapacité à rester zen face au reste monde qui, lui, décide de prendre son temps.

Bien arrivée au cours de yoga, matinale et les yeux déjà écarquillés par mon pas si smart phone, je souris à la professeure qui me propose de tirer une carte pour bien commencer la matinée. Elle est calme, reposée, et affiche ce sourire bienveillant des gens qui savent respirer.

Un moment de patience dans un moment de colère évite mille regrets” peut-on lire sous l’illustration.

Merde. Entre l’envie de me taper le cul par terre de rire ou de pleurer, je relis la phrase trois fois. Juste pour être sûre de bien comprendre. Chien tête en bas, je me force à oublier ces mots puis serre encore la mâchoire plus fort en repensant à mes dernières semaines.

“Attends”

Selon une étude menée par l’Université de Californie à Berkeley (UC Berkeley, Department of Psychology, Emotion Regulation and Well-Being, 2018, citée dans le Greater Good Science Center), les personnes capables de différer leurs réactions émotionnelles présentent un niveau de satisfaction globale environ 30 à 35 % plus élevé que la moyenne. La patience rend plus heureux, encourage la paix intérieure, et s’accompagne d’une meilleure forme physique. Ceux qui savent attendre dorment mieux, sont davantage reconnaissants et forcément moins stressés.

Moi, pendant ce temps-là, plutôt que de tourner la manivelle et d’écouter autour de moi, je lutte sur mon tapis contre l’envie d’ouvrir mes billes pendant la méditation. La science a beau le prouver, je continue de confondre lenteur et perte de temps. Et je n’en suis plus à mon premier exercice, ni à mon premier cours de PNL (programmation neuro-linguistique) - cette approche qui vise à reprogrammer nos schémas mentaux pour mieux gérer nos émotions et nos réactions. J’ai suivi à deux reprises la méthode Coach Beyond pour m’aider à ralentir, observer et accueillir le bien dans le tumulte de la vie pro/perso. Sans surprise, il y a encore du boulot.

Mâcher la bouche fermée

J’ai repensé au week-end, aux passants que j’avais incendiés pour conserver le monopole de la piste cyclable et mes 30 km/h - alors que je n’étais pas vraiment pressée, si ce n’est pour aller boire une pinte de cidre aux Buttes-Chaumont. J’ai revu aussi les gens de l’aéroport, ceux qui mettent une éternité à sortir leurs affaires et qui se collent à vous dans la file d’attente post-atterrissage, avec cette odeur de sandwich mêlée à celle du sommeil. Les pires, ceux qui m’obligent à entrer puis sortir la dernière de l’avion de peur de les frôler ou de faire des malheurs à mon karma. Et puis à cette femme, Sihem, qui m’a simplement dit qu’on ne peut pas vivre éternellement à 100 à l’heure. Pouvoir respirer et laisser le monde tourner sans nous.

Parfois, je conduis et mes enfants font du bruit à l’arrière. Ils tapent dans les sièges et donc dans ma tête. J’ai plusieurs options : leur donner une minute pour se calmer et garder mon sang-froid, ou partir dans les tours et là, c’est trois fois pire. La patience, celle qu’on chérit, consiste à contrôler la situation pour la rendre agréable : une victoire personnelle qui nous porte pour le reste de la journée”, me raconte-t-elle au volant d’une Fiat 500 décapotable en pleine pampa portugaise, durant les deux heures nous menant au même lodge pour le week-end.

Même jour, même heure, même porte

Et le monde continuera de nous taquiner, avec ces gens garés en plein milieu de la rue pour regarder leur téléphone (et nous, à faire semblant de ne jamais faire pareil), avec ces collaborateurs qui ne travaillent pas assez, et ces amants-amis incapables de s’engager. Toutes ces épreuves qui nous semblent insurmontables - tant qu’on ne saura pas simplement se poser.

Contrôler ce qui nous entoure : courir après l’intensité, rester hyperconnecté·e, jongler entre le vide et l’hypersensibilité, s’obséder pour des ongles propres et bien coupés, vivre un moment en pensant déjà à ce qui viendra après. N’autoriser qu’un planning chargé, minuter ses relations, réclamer tout - trop vite, trop fort, trop intensément. L’exigence comme seul moteur de vie, entre le travail, l’amitié, l’amour, le sport et l’évasion. Ceci est un constat de société, loin d’être une fatalité mais plutôt un choix à repenser : celui de mieux vivre, de respirer, et d’apprendre à se calmer.

Plutôt que d’accélérer la vitesse d’un message vocal - et surtout d’un mot d’amour, de repousser l’appel d’une grand-mère qui ne sera pas toujours là, de courir après cet après-midi qui ne rallongera pas, ou d’attendre un appel qui n’appartient en rien au futur… le frein.

L’impatience écrase la présence, l’égo tue l’amour, le doute massacre la croyance, et l’inquiétude menace la paix. Un brin moralisateur, peut-être, mais pas con comme conclusion.

Le final : la théorie de la tortue

Peut-être un peu à la ramasse, elle nage tranquillement vers le courant est-australien (vous l’avez ?), en écoutant du Bob Marley. Elle ne se presse pas, ne cède jamais à la panique, et se contre-fout bien de ce qui l’attend devant. Pas de sprint, juste un mouvement constant, doux et maîtrisé.

Je penserai donc à mon amie Léa, qui travaille sa respiration (“le booooooool d’air”) tout en accueillant l’adolescence imminente de son premier enfant. À Margaux, avec qui le ton monte souvent - faute de pratiquer la théorie e la tortue - et qui me manque après chaque accrochage. Surtout, je me concentre sur cette carapace figée, inconfortable, qui se détache peu à peu de mon corps de chélonien.

No rush, no Rouche.

P.A (Plaisirs assumés) : Un week-end à Gand bien mérité, des bottes signées Rouje et un restaurant en bonne compagnie.


Thirties

Thirties

Par Margaux Rouche

Journaliste et consultante en marketing éditorial, je mêle fiction et témoignages pour que mes lecteurs puissent s’identifier dans mes histoires.

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