On la croise quelques fois. Elle rit un peu trop fort, réussit un peu trop bien, attire un peu trop l’attention. Elle agace, sans même le vouloir. Pas parce qu’elle est méchante, non mais parce qu’elle renvoie à ce qu’on n’assume pas encore chez nous. Cette fille qu’on n’aime pas, c’est souvent celle qu’on aimerait être un peu plus.
Musique de fond : Berghain, Rosalia & Björk
Elle ne nous a rien fait, comme un miroir que l’on ne devrait pas croiser du regard. Elle est cette fille sympa, tantôt naturelle - qui prend un peu trop de place et dont on voudrait souvent avoir le cul. Elle est créature qui se moque bien de savoir si elle plaît aux hommes, c’est souvent le cas de toute façon. Drôle mais véridique, elle crève inconsciemment de devenir votre amie. Elle est cette femme qui ne sait comment vous charmer, car de toute façon vous la détestez, comme moi, déjà.
C’est elle la première figure que l’on craint, que l’on toise. Celle qui croit à l’amitié homme femme, celle qui possède évidemment ce petit sac que vous n’avez jamais vu mais dont vous rêvez désormais, celle qui danse un rock avec votre mari et ramasse votre veste ensuite avec un sourire bienveillant.
Elle sait manger un burger - ketchup dégoulinant au coin de la bouche qu’on aurait presque envie de lécher. Pire, elle ne s’interroge pas de savoir si son jean pourrait la serrer. Elle ouvre plutôt le bouton de son pantalon, sans le moindre complexe, pour finir les frites de son fils qu’elle dévore presque avec délicatesse. Elle rit, tout le temps, comme si la joie l’animait constamment alors qu’elle paye également des impôts et risque le divorce.
Elle n’a pas forcément moins de problèmes, elle souffre parfois aussi de solitude, de doutes financiers, d’infidélités, d’hémorroïdes précoces et autres conneries désagréables. Elle est peut-être vous, moi ou ma maman. Elle n’est seulement pas considérée à cause d’un geste, une action, un sourire, une parole en notre présence ou une rumeur qui sonne l’alarme de la jalousie dans nos maisons, cœurs, yeux, vacances et garde robes.
C’est un truc bizarre chez moi. Je l’adore. J’ai toujours aimé m’entourer de ces femmes sûres d’elles, et à la fois tellement vulnérables. Elles incarnent tout ce que j’admire soit le dynamisme, l’amour de la vie, la gnaque, la force du quotidien, l’agilité, le rire mais aussi la fragilité.
Je pense à mon amie Fanny. Quelques années de plus que moi au compteur, donc un peu plus de maturité et d’expérience. Belle à croquer, généreuse, douce, toujours désireuse de contenter tout le monde. Elle marche, avance, parle et agit avec une forme de confiance douce, presque timide : elle capte la bienveillance dans le regard des autres. C’est ce qui me frappe dès notre rencontre.
Elle dégage le meilleur de mon âme pour nourrir la sienne. Et surtout, elle cherche à m’aider, à m’offrir le réconfort dont j’ai besoin. Une sororité innée, naturelle, qui me donne la puissance d’avancer.
Je dois l’admettre : ce qu’elle incarne me bouleverse. Deux enfants (des ados, en plus), un divorce, une entreprise et donc une vie très remplie, une route, un putain de boulevard du kiffe. Des amitiés de longues dates, et même du sang neuf. Elle devient la femme que j’espère être demain. Elle a un compagnon, un rythme, et des comptes à rendre à… elle.
La nana qu’on n’aime pas, c’est finalement ce miroir, cette silhouette, cette foutue lionne qui nous dérange. Parce que malgré ses petits maux qui piquent, elle a l’emballage et la prestance qu’on rêve un jour de choper.
Terrifiée à l’idée de ne pas être “aimée”, je lui confie ce manque de confiance qui me colle à la peau.
Fanny me répond : “BB, tu fais parler si tu déranges. Moi, je choisis l’indifférence. J’embrasse les mots, la critique, parce que je suis heureuse. Je me fous de ne pas être aimée par les autres femmes. Je suis bien dans mes baskets. Et c’est le jour où j’ai cessé de vouloir répondre à leurs codes que j’ai trouvé l’épanouissement que je méritais.”
Chien tête en bas, fesses musclées, Fanny paraît dix ans de moins. Elle sourit en continu et putain, que ses dents sont parfaites. Chez elle, tout déborde : l’amour, le style, la joie. Elle pétille. Fanny, c’est ce Liptonic que toutes les nanas adorent mais qu’aucune n’assume vraiment. Cette boisson sucrée au branding increvable qu’on achète en cachette en espérant secrètement qu’elle ne disparaisse jamais des rayons.
C’est une mécanique sociale, pas un vice. Une façon de se situer, de mesurer la distance entre celle qu’on est et celle qu’on croit devoir devenir pour plaire un peu plus. Une recherche plus récente (Lampronti et al., 2025) parle même de « rivalité contextuelle » : les femmes évoluent dans des réseaux où la place, le statut et la rareté nourrissent malgré elles une forme de tension. Pas par méchanceté. Par survie. Vous imaginez une scène peuplée de félines prêtes à sortir les griffes ? Attendez la suite.
Alors, peut-être que la fille qu’on n’aime pas, ce n’est pas vraiment “elle” ; ni Elle Woods dans La Revanche d’une blonde. Tout le monde finit d’ailleurs par l’apprécier, je dis ça, je ne dis rien. La fille qui nous dérange, finalement, incarne le reflet d’une liberté qu’on n’a pas encore osé s’accorder.
Et croyez-moi, le jour où on arrête de la juger, on commence peut-être enfin à s’aimer, un peu plus, un peu mieux. Fanny, comme les autres, je vous aime. Namaste.
P.A (Plaisirs assumés) : Un abonnement chez ALOYA studio et des millions de '‘t’es belle”.