Thirties

Des épisodes épicés que l'on compose à partir d'histoires et déboires de trentenaires, à la ville comme à la scène. Une grande tablée où il n'y a pas de règles, venez vous installer.

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Par Margaux Rouche
25 mars · 3 mn à lire
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Épisode 2 : Plus tard il sera trop tard pour regretter

Thirties fête ses un mois, Kessel Média son premier anniversaire et je signe aujourd’hui ma troisième newsletter. Ce nouvel épisode fait partie d’un projet collaboratif avec d’autres auteurs de la plateforme qui porte nos écrits. C’est ma première orgie d’autrice.

Musique de fond : My Type, Saint Motel

Partager un programme d’écriture avec d’autres auteurs m'impressionne, presque autant que de se mettre à poil devant quelqu’un après une rupture. Il y a trois semaines, Julien Chavanes me propose de rejoindre une initiative sympa lancée dans le cadre des un an du média qui nous héberge : une newsletter dans laquelle chacun célèbre sa manière de dévorer la vie dans l'instant. Son constat s’entend puisque journalistes et artistes, nous partageons des brisures d’opinions chaque jour et les réseaux sociaux nous trahissent. Désinformation, éco-anxiété, cacophonie politique et pertes de repères sont les conséquences de notre sur-connexion. Du coup, cette ode aux petits plaisirs simples de la vie tombe plutôt bien. 

Diva prévisible

En ce qui me concerne, je signe un épisode dédié à ma bonne résolution. Là où j’ai toujours adoré la spontanéité, je peine à profiter pleinement de l’instant présent sans planifier l’après. Si l’on décrypte, il m’est compliqué d’aller au restaurant sans réserver, de ne pas savoir où je vais le weekend prochain ou de dormir chez lui ce soir si je n’ai pas au moins culotte et brosse à dent.

Pourtant, mes péripéties de ces dernières années laissent penser qu’il serait tout à mon honneur que de me laisser un peu aller. J’ai une idée : vous êtes vivant, trentenaire, c’est le moment d’aller batifoler, de tenter une reconversion pro, de déclarer votre amour à cette personne qui ne vous attend plus et pourquoi pas de participer à un concours de tolérance à la sauce pimentée.

Plus tard il sera trop tard. Notre vie, c’est maintenant.”, disait Jacques Prévert. Le printemps s’est enfin pointé et ses douces températures nous appellent. Mollo, léger… Qu’est-ce qu’on fait ?

Depuis le covid, j’enchaîne les bonnes et les mauvaises surprises. Je me suis longtemps questionnée sur mes actions regrettées, ai-je trop joué par le passé pour mériter un retour de karma ? Peut-être que dévisser le bouchon du sel à la cantine, comploter dans le dos de mon mec ou mentir sur mon programme de la soirée étaient de mauvaises idées.  

Il n’empêche que j’ai finalement décidé d’entamer de gros changements. Non pas que mon horloge biologique (qui veut congeler ses oeufs pour Pâques en Spring Break à Barça ?) ou mes rides naissantes m’effraient, disons que j’accepte certaines réalités déplaisantes pour mieux me concentrer. Ce qui m’a aussi poussée à réaliser que plus tard il sera trop tard pour regretter. Parmi mes récentes prises de décision persos et pros, j’ai donc usé de quelques cartes coups de tête. Si j’avais toujours envie d’être la reine, j’acceptais de me taper le joker. Je tentais de me surprendre en évitant de tout prévoir et de ne faire confiance qu’à mes instinct et raison. Le but étant de kiffer et de me délester de certaines casses ou pensées limitantes. Projets persos, passions, relations et rencontres devenaient des étendues de sable que je pouvais traverser pieds nus en courant. Il fallait vivre, et ce champ des possibles était délicieux.

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Coup de poker

J’ai remarqué beaucoup de comportements similaires aux miens autour de moi, tant chez les hommes que chez les femmes. A croire que nous ayons tous peur d’une vie trop courte, nous sommes enfin prêts à engager des changements radicaux pour essayer d’être plus heureux. Se séparer du père de ses enfants, déménager dans une ville que l’on ne connait pas, retourner à un amour de toujours, devenir horloger, commencer le tennis ou tester sa bisexualité : quid de simplement s’écouter ?

Breaking news

Quoi que l’on choisisse de tenter ou relancer dans sa vie, il faudra assumer. Et si vous n’avez pas choisi ce divorce que vous bénissez pourtant aujourd’hui, sachez que votre ex décisionnaire s’en mord les doigts. Karma encore une fois. Le tout est d’entreprendre des virages que l’on sera capable de discuter ensuite, et ne pas s’embêter avec le regret.

Les heureux tatoués

Parmi les coups de folie de ceux qui ne se mouillent pas trop, j’ai remarqué le tatouage. Beaucoup de mes proches y ont cédé, il faut oser. Le risque, c’est de douiller. J’ai toujours trouvé que le tatouage devenait une fierté pour ceux qui s’y essayaient après mûre réflexion. Et puis, il y a aussi la gêne de ceux qui y ont adhéré trop jeunes, peu contents d’admettre que l’histoire s’est terminée avec leur signe astro sur la cheville. La question “Tu en as un toi?” fait partie de ces phrases ultra-beaufs et ultra-branchées que j’aime écouter.

Elle l’avait dans la peau

Ma copine Raphaëlle pourrait vous en parler, elle a passé ses plus belles années avec un homme tatoué. Il en avait à revendre, elle n’aimait pas trop ça. Il était aventureux jusqu’à retranscrire ses expériences du passé à l’encre. Il fallait dire qu’il avait des bras incroyables, il pouvait se le permettre. Ce qui est con pour Raphaëlle, c’est qu’il l’invitait rarement au restau et que l’investissement de ces gribouillages représentait l’équivalent d’un Birkin qu’elle n’aurait jamais. Tout le monde autour d’eux trouvait les tatouages de Joseph très chouettes, sauf elle.
La jeune femme voulait un tatouage depuis toujours mais pas sur un coup de tête. Elle était de celles qui savouraient le moment quand il était réfléchi, elle aimait qu’il lui appartienne. Il aura fallu une séparation pour qu’elle réalise qu’elle le ferait vraiment, sans lui. Et c’est en passant devant ce tattoo shop à Amsterdam que c’était devenu une évidence : de quoi marquer sa nouvelle ère, cette illustration à même la peau la suivrait jusqu’au bout.

Pas de trahison ou de retour en arrière possible, ce serait à la vie à la mort, le tatouage qu’elle oserait sur un coup de tête devenait plus engageant qu'un job, qu’un achat de maison ou même qu’un mariage. Alors certes, des méthodes existaient pour s’en séparer mais elle aimait la symbolique qu’il incarnait. Quant au dessin, Raphaëlle avait abandonné l’idée de l’hirondelle car elle n’avait toujours pas pris son envol et ne s’imaginait pas graver les initiales de ses parents sur son poignet.

Aujourdhuître

Fière du coquillage qu’elle adoptait à l’aine, un endroit intime qui rendait ce tatouage privilégié, elle rentra de son voyage avec un sourire jusqu’aux oreilles. Elle s’était engagée avec elle-même sur ce coup. Quand elle me l’a montré, je lui ai demandé pourquoi ce drôle de crustacé… je trouvais ça un tantinet osé puis Raphaëlle m’a parue amusée. Plus affirmée que jamais, elle me jetais un vulgaire “je t’emmerde” et j’ai compris qu’elle ne le déplorerait jamais.

L’huître, la moule ou son je ne sais quel coquillage raté ne regardait qu’elle, un mariage avec son propre corps qu’elle avait choisi seule.

Plus tard il sera trop tard pour regretter, le tatouage était une illustration de ce bonheur que lui procurait l’instant présent.

P.A (plaisir assumé) : ce foutu Birkin, que Joseph aurait dû acheter.