S2 Ep1 : la règle des 90 jours

Nostalgique et incontestablement peinée de voir l’été s’en aller, je m'accroche à une idée positive pour accueillir l’automne, ou du moins m’y préparer. Neuf mois : c’est ce qu’il m’aura fallu pour accoucher d’une nouvelle chronique et l’idée même de percevoir vos yeux globuleux déchiffrant ces lignes me terrifie.

Thirties
5 min ⋅ 15/09/2025

Musique de fond : S.O.T.H, Sault

Ma faute

La tempête, le soleil puis le calme m’ont tenue occupée, tandis que mon nouveau projet éditorial m’emmerdait. J’avoue : le temps m’a manqué, et j’ai repoussé le moment de reprendre mes accélérations sur ce clavier maculé de traces de gras, souvenirs des innombrables chips dévorées au-dessus de l’écran. Mon installation avait duré, l’urgence de déballer mes affaires s’était vue cannibalisée par une flemme sans nom et un carton rempli d’objets inutiles trônait encore dans le salon. Ma chambre ressemblait à celle d’une grande ado : portants chargés de mes robes estivales préférées, tasses de thé vides empilées sur la table de nuit. J’avais développé un espèce de syndrome de la page blanche, gênée de dévoiler à de nouvelles rencontres mon amour certain pour l’exercice de la chronique. Je continue de croire en ma capacité à inventer des personnages et à romancer leurs aventures dans un essai ; j’avais juste foiré l’emballage, persuadée qu’un fragment d’histoire deux fois par mois suffirait à accrocher qui que ce soit.

Mauvaise pioche : on me réclame l’ancien format de Thirties. Vous savez, celui qui arrache un sourire et rappelle à chacune d’entre nous qu’il y aura toujours une meilleure anecdote pour se déculpabiliser d’une drôle de journée. Cet écrit où je raconte mes trois mois de running sans jamais dépasser les 6 km, avec un teckel nain qui détale forcément plus vite que moi. Cet essai qui relate les frasques de mon amie Laurie, apprenant le pole dance après son mardi passé à enseigner le mot chat en anglais à votre bambin de quatre ans. Ce paragraphe sur Charlène, dont le rencard avec l’homme parfait s’achève par une proposition de plan à trois avec sa meilleure amie, qu’elle avait hâte de lui présenter. Ces lignes sincères de Salma, jurant qu’elle ne remettrait les pieds en club que pour recroiser des comparses alcoolisées et croire à nouveau en la sororité féminine : parce que tout le monde est doux, tout le monde est beau, et que vous appréciez sa proposition d’emprunter son rouge à lèvres, même si la perspective d’un herpès vous en empêche. « C’est un connard, tu vaux mieux que ça », lance une daronne complètement saoule, devant le miroir d’un bar où elle n’a rien à faire. Elle propose son mascara et lui rappelle comme elle est belle, fusillant du regard une étudiante en pharmacie qui précise que ça ne se fait pas. Salma sourit, c’est exactement ce qu’elle voulait entendre.

On y revient, et tant mieux.

Comme l’année passée, et comme chaque mi-septembre depuis l’enfance, j’ai une peur démesurée de l’automne. Le froid, le ciel gris, les journées raccourcies, les cuisses qui pâlissent, les adieux aux fêtes et à l’insouciance autorisée des beaux jours, les impôts à rattraper et le retour des rhumes me rendent anxieuse. Le coup de blues devient récurrent : l’été et ses folies paraissent loin, la lumière aussi. Chouette nouvelle, la sagesse l’emporte cette fois, et même si le rosé a donné un coup de main, j’ai appris à y réfléchir : je garde le pied sur l’accélérateur et je m’envoie un énorme talon-fesse pour tout secouer (et peut-être muscler) d’ici la fin de l’année. La maturité me frappe pour de bon, la vérité aussi : il y a plus de cons que de bons, et la passion l’emporte désormais sur le respect ou la raison. Le monde se perd. Ce cocktail explosif domine l’écosystème, et la compassion, malgré sa consonance très en vogue (jusque dans mes propres mots) n’est plus. Preuve en est, il s’appelait Charly, un Américain qui ne méritait aucune des louanges entendues ces derniers jours ni la balle qui l’a tué. Que faire de ce constat anxiogène ? Mettre en place une nouvelle mais très sympa discipline, la règle des 90 jours.

La règle du 21/90

Comme un marathon, sauf qu’il s’agit de devenir de meilleures personnes. On dit qu’il faut 21 jours pour adopter une routine ou se remettre d’une rupture ; alors imaginez ce que peut transformer un foutu trimestre. Cette théorie s’applique partout, au travail, en amour, en amitié ou en finances, à condition d’analyser le passé et le présent pour mieux engager le futur. Accepter le lâcher-prise, avec pour seule unité de mesure… le temps. Trois mois, 90 jours et 90 nuits pour prendre de meilleures décisions, ou au moins dresser un état des lieux et amorcer un changement de comportement. Je ne l’ai pas inventée, cette règle revient dans des études et coachings enseignés dans le monde entier pour adopter un nouveau lifestyle.

NEXT, comme dans le bus

Et ça marche pour le nouveau job, le petit-ami, l’état d’esprit, le dernier projet, le sport, la musique, les économies et toutes ces non-conneries qui rendent la vie meilleure. Le sexe aussi, évidemment : vous comptiez attendre combien de temps avant de kiffer ?

Ce fameux trimestre “challenge” correspond à un cycle concret, découpé en trois phases distinctes, si l’on lit notamment le fameux Brian Moran (à qui je ne dois pas encore ma fortune) : on teste, on consolide, puis ça devient naturel… si ça doit l’être. Vous hésitez ? Next, et vous avez forcément la ref.

Tout se résume à l’honnêteté et à l’acceptation : un vrai travail sur soi si la période d’essai, au bureau ou au plumard, n’est pas concluante. C’est toujours une question de compatibilité, peu importe le terrain de jeu, bras croisés ou jambes en l’air. Après trente ans, c’est se rendre service. Je me souviens d’une amourette (pourtant bien classée) où je refusais d’admettre que je n’appréciais pas vraiment la personne que je fréquentais. Il était gentil, mais rien ne collait. Si l’amour dure trois ans, cette affaire n’a pas dépassé trois mois. Malgré les signaux envoyés par mes proches, j’ai attendu de peur de devoir prendre une décision et retourner à la case départ. Pourtant, c’est là que j’étais bien mieux lotie, seule mais bien accompagnée de mes proches - et le double dé me caressait déjà le bout du nez. Une centaine de vidéos de Mel Robbins ou encore le sociologue et activiste Robin Sharma plus tard, j’ai compris : il m’avait fallu 90 jours pour accepter l’échec d’une mission chez un pro et respecté ce même sablier pour envisager quelqu’un de différent et inspirant dans ma vie.

Comme par hasard, 2026

Le challenge des 90 jours n’arrive donc pas là comme un cheveu sur la soupe de cette belle-mère qu’on n’a jamais aimée, mais parce qu’il correspond aux trois derniers mois de l’année. L’occasion de faire un peu de ménage devant sa porte, au bureau et dans sa chambre pour préparer 2026, et d’intégrer une routine bénéfique à son petit coin de paradis gris. Pas bête la guêpe : imaginez tout ce qu’on pourrait changer… Un réveil qui sonne plus tôt (ou plus tard) pour une meilleure hygiène de vie ? Une armoire moins garnie mais mieux pensée ? Un partenaire qui nous fait grimper aux rideaux au lieu de pleurer dans le lit ? Un boulot qui nous stimulerait davantage ? Une phase de célibat assumée et embrassée ? Un compte en banque qu’on pourrait mieux apprivoiser ?

Installer le rituel d’une marche, ou d’un message envoyé le matin à quelqu’un qu’on aime. Réfléchir un peu moins, laisser faire le temps, attendre la fin de l’année pour prendre des décisions vraiment bénéfiques à notre fragile équilibre. La nature fait bien, mais étrangement, les choses : ceux qui nous donnent le plus sont parfois ceux qu’on voudrait le moins, et les red flags, au travail, en amitié comme en amour, virent rarement au vert. Pendant ces 90 jours, donnons-nous la chance d’y croire, sans jamais oublier la réalité de ce qu’on ressent : accepter de s’écouter reste l’essentiel. Une sorte de nouveau mantra Badalada, qu’on hurlerait intérieurement avec une voix pétée de goéland.

On se retrouve dans quinze jours, et on lance les festivités de notre côté.

P.A (Plaisirs assumés) : une robe Ysé (allez, une seule), des bottes de pluie Hunter et un plateau télé après la journée.


Thirties

Thirties

Par Margaux Rouche

Journaliste et consultante en marketing éditorial, je mêle fiction et témoignages pour que mes lecteurs puissent s’identifier dans mes histoires.

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