Rester jeune...une obsession qui suit notre génération, celle qui a tout commencé plus tard. À mesure que les innovations esthétiques se multiplient, les trentenaires deviennent les cobayes les plus volontaires de l’époque. Botox, acide, implants capillaires : jusqu’où ira notre curiosité ?
Musique de fond : Young Turks, Rod Stewart
Nous sommes en 2012. J’étudie le journalisme la semaine et je travaille le week-end à Disneyland Paris. Ma collègue - devenue une amie très proche - économise depuis deux ans pour un rendez-vous qui, selon elle, « changera sa vie ». Le jour venu, elle me demande de l’accompagner à la clinique de l’iconique avenue parisienne. Et just like that, comme dirait l’une de mes inspirations contemporaines préférées (et j’en suis toujours aussi fière) : nous rencontrons Docteur Nouveau Nez.
Bienveillant mais furieusement commercial, il a l’âge de nos pères et l’assurance de ceux qui savent vendre du rêve… ou du cartilage remodelé. Le cabinet est décoré façon Versailles miniature, avec - point d’orgue -des prothèses XL trônant au milieu du bureau. Il explique à mon acolyte qu’il est normal d’avoir des complexes, qu’il comprend très bien que son nez en soit un (merci Albert, elle n’avait plus qu’à signer), et que chacun de nous porte des incohérences physiques qu’il tarde parfois de corriger. Il me prend ensuite pour exemple, démontrant doctement que nous avons tous une partie du visage plus grosse que l’autre.
Depuis, j’ai décrété que mon meilleur profil serait le droit pour la vie - et je trouve ma tête énorme, quoi qu’il arrive : mon poids, dix heures de sommeil, une séance de cryothérapie ou un Dry January n’y changent rien. Bien joué, mais la liposuccion des joues… pas sûre d’y arriver.
Quinze ans plus tard, j’ai des rides et ce même sourire du Joker. Ma vieille copine a plus confiance en elle que nous toutes réunies. Et tandis que je m’oblige à faire du sport quatre à cinq fois par semaine, une question me traverse : combien de temps avant que je ne commence officiellement à rajeunir ?
Sujet du quotidien autant que de société : la chirurgie et la médecine esthétiques sont devenues presque aussi communes qu’un passage chez le dermato ; lequel, aujourd’hui, propose lui-même injections et laser. À l’époque, se refaire les seins, le nez ou aspirer les poignées d’amour restait un luxe réservé à quelques-uns : cher, impressionnant, presque sacré.
Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Le marché a explosé, les techniques se sont multipliées, et les prix sont devenus… abordables. Parfois un peu trop.
C’est là qu’entre en scène le Dr Adryen Bisiaux, anesthésiste qui s’est lancé dans la médecine esthétique dans plusieurs cliniques dont Lille et Arras. Par passion, oui mais aussi pour par déontologie. Il me rappelle que la législation française permet encore à des salons dits de beauté de pratiquer injections ou laser. Autrement dit, on peut confier son visage à des personnes qui ne sont pas médecins.
“Le vrai risque, ce n’est pas l’acide hyaluronique. C’est de ne pas savoir qui vous l’injecte et si ce soin vous est adapté. Il y a des jeunes femmes d’une vingtaine d’années qui veulent une nouvelle bouche pour leur anniversaire - ce sont les dérives de notre métier et nous sommes là, médecins formés, pour les conseiller” m’explique-t-il.
Il me raconte les différences de clientèle selon les villes et les âges. Sans surprise, les femmes restent majoritaires mais les hommes aussi, ceux qui voient leurs cheveux s’accumuler dans la bonde de la douche et les poils envahir un dos qu’ils ne savent pas épiler seuls, sont devenus des clients fidèles des cliniques aux façades dorées.
Les implants capillaires sont désormais si courants qu’il m’arrive d’essayer d’en repérer à table, chez des amis. Dr Adryen m’a même expliqué comment les reconnaître; une compétence qui peut désormais me servir. Selon l’ISAPS (International Society of Aesthetic Plastic Surgery), les procédures esthétiques - médecine et chirurgie comprises - auraient par ailleurs augmenté de plus de 40% ces quatre dernières années. Vous qui lisez ces lignes, je suis curieuse de savoir ce que vous avez fait.
C’est ce que m’a lancé Maxime, en guise d’excuse pour ses yeux baladeurs malgré son alliance Cartier. Nous étions invités à une petite sauterie chez des copains, et l’une des convives affichait un glow assez spectaculaire pour qu’on se demande si l’hiver dernier n’avait pas été effacé d’un coup de laser. Fête de Noël des vieux copains oblige : chacun subit, malgré lui, une sorte de scan anti-rides à l’arrivée.
Maxime me tapote la main, l’air de rien, pour savoir quand je compte m’y mettre. Selon lui, la nouvelle immortalité des femmes devient presque dangereuse : “On ne sait plus quel âge vous avez, les générations se mélangent. Et le pire, c’est que tout devient possible.”
Comprenez que ces autres fraîchement admis au club des divorcés se permettent désormais tout; un date avec une femme de 25, un crush de 32, un lendemain animé avec une quadra flamboyante. C’est la magie de la seringue : rallonger la vie, brouiller les pistes et reposer cette éternelle question… est-ce naturel ?
Et BIM. Le coup de vieux, vous le sentez aussi ?
Non seulement on compte désormais sur nos amies facialistes pour réveiller les pommettes une fois par mois, mais on s’agace aussi de ne pas trouver de créneau de médecine esthétique sur Doctolib. Pattes d’oie, ride du lion et autres métaphores animales, toujours très expressives quand il s’agit de vieillesse, trottent sérieusement dans nos têtes.
Les cheveux blancs ont gagné leurs lettres de noblesse. Le cou qui s’affaisse, même très légèrement, beaucoup moins. Et je ne jette la pierre à personne, je fais partie de celles qui finiront par s’y faufiler, le jour où la peur de devenir une obsédée du bistouri cessera de me tenir éveillée. “Les plus jeunes viennent me voir pour corriger quelque chose qui les suit depuis l’enfance. Passée la trentaine, c’est un filtre de jeunesse que tout le monde recherche. L’enjeu, c’est de proposer les bonnes options - et surtout de tenir les patients loin de l’abus ou d’une récurrence trop visible”, explique le Dr Adryen Bysiaux.
Entre complexe assumé et fantasme de Anne Hathaway, la frontière est mince. Et comme souvent, tout se joue à quelques unités… et beaucoup de discernement. Evidemment que je me languis devant la bande-annonce du Diable s’habille en Prada 2 et de l’actrice principale qui semble plus jeune que dans le premier film il y a 20 ans.
Je sais que j’y céderai. Pas pour effacer le temps, ni pour courir après une version fantasmée de moi-même, mais pour accompagner ce qui change. Vieillir bien, sans se trahir, en le faisant bien. Et surtout, le faire à son rythme, selon ses règles. Le reste, le jugement, les suppositions, les débats, ne regarde que les autres.
P.A (Plaisirs assumés) : Une consultation avec le Dr Bisiaux, puis un passage plaisir chez OH MY CREAM