S2 Pilote : La vie est une fête

C'était comme découvrir le régal des Haribo crocodiles quand ils sont au frigo. Ouais, écrire une histoire toutes les deux semaines pour Thirties était devenu addictif. Trêve de Noël, non pas de plaisanterie, le projet continue et les fameux épisodes bimensuels reviennent.

Thirties
5 min ⋅ 01/01/2025

Musique de fond : Meet me at our spot, The Anxiety, Willow & Tyler Cole

L’ébullition

On avait cherché à comprendre d’où me venait cette énergie et cette capacité à ne jamais me “poser”. Et là où l’on avait longtemps salué cette facette de ma personnalité, il avait pris mon visage dans ses mains pour me lancer ces mots droit dans les yeux : “accepte la réalité des faits, choisis le repos et éloigne-toi de tout être vivant à l’exception de ton chien”.

Le statut d’entrepreneure obligeait à une connexion constante, et j’avais toujours veillé à faire preuve d’une réactivité sans pareille pour mes clients. Sauf que j’oubliais que mon entourage ne m’employait pas, et que je n’avais pas de compte à rendre au reste du monde. Il était fréquent que l’on croise le chemin de (excusez-moi les deux prochains mots) gros cons et ils ne valaient pas la peine que l’on s’épuise pour répondre à leurs petits besoins. Je ne les emmènerai pas avec moi en 2025.

Je me suis donc autorisée une petite pause (pas des vacances, la période ne s’y prêtait pas) sur Thirties, après un épisode traitant de mon expérience avec le divorce. Une newsletter qui venait du coeur, écrite pendant des semaines et pour laquelle chaque mot avait été mesuré.

On m’a dit que c’était drôle, bien construit mais il semblerait que beaucoup aient trouvé ça triste. Et je me suis donc promis que cette deuxième saison débuterait sur la touche de l’humour. La bonne nouvelle, c’est que je suis bien entourée et que les galères, comme les situations loufoques, n’épargnent personne. Comme on parle beaucoup, et que je suis incapable de m’éloigner de mes amis, on a encore pu décrocher la crème de la crème de marron de Noël. Woohoo.

On s'était dit rendez-vous dans 10 ans
Même jour, même heure, même pommes

Bien que je redoute les festivités familiales, il faut admettre que le patelin de notre enfance se transforme en une excellente émission de “Que sont-ils devenus ?” aux alentours du 24 décembre. Il suffit de se promener dans les commerces, ou de sortir dans les bars d’antan pour recroiser des têtes qui nous parlent et enclencher les potins. Chez le traiteur par exemple, je m’apprêtais à dégainer les 100 euros donnés par mes parents pour payer les bons produits qu’ils avaient commandés quand j’ai croisé Christophe. Il n’utilisait pas le chéquier de sa mère, mais plutôt sa propre black card qu’il dégainait d’un porte-carte futuriste acheté sur démonstration chez Auchan Cambrai. A l’adolescence, on avait été amoureux, ou quelque chose dans cette veine, mais je l’avais ensuite catalogué (éducation nationale, pas moi) de “pas futé, hein” sous prétexte qu’il refusait d’aller au lycée pour se dédier à un cursus professionnalisant et entrainer son accent chti. Pendant que je prenais des portes dans la tête en 2024, Christophe les produisait et les installait chez les particuliers - jusqu’à gagner 13 fois plus que moi et payer un Vuitton dégueulasse à sa femme. J’avais choisi le journalisme, le marketing éditorial et ma langue lui était étrangère. Il avait été plus malin, il le savait, et son iconique doudoune sans manche brodée du logo de son side-business dans le bâtiment en témoignait. Il avait 15 apparts, une boîte pour les rénover, un bon petit bidon et trois enfants blonds comme le blé. Je détenais un vélo électrique, Thirties, dormais avec un teckel-nain et comptabilisais des échecs amoureux qui m’ennuyaient profondément. Christophe avait géré, et on avait eu tort de le prendre pour un con. Il serrait des pinces à la chasse et mangeait du pâté à 7H30 le matin pour signer des deals, heure à laquelle je me réveillais avec une barre au crâne pour avoir bu du champagne sans la moindre raison la veille.

Diplomé de l’Iscom, il devient fleuriste

C’était bien ça le revers de la médaille : les moches d’antan étaient devenus beaux, les beaux gosses de l’école avaient rapetissé et forci, les gauchers étaient désormais les premiers, les CAP Menuiserie étaient les célibataires les plus convoités et celles qui pouponnaient à l’époque où je dansais sur les tables me semblaient mieux conservées que nous autres les rebelles. La simplicité avait vaincu, écrasé les cons et les fanas de Gossip Girl qui s’étaient ruées vers des écoles privées pour finalement tout claquer et se former au yoga au Costa Rica. Les boulots de nécessité, les métiers manuels, le franc-parler et la simplicité de croquer la vie à pleines dents primaient et les fêtes de Noël en permettaient un vrai défilé dans la petite bourgade de Cambrai (59, là où nous ne sommes pas tous cousins svp). Chuck Bass n’était plus, ou en tout cas n’avait plus rien de séduisant. On préférait le maraîcher à Jude Law et son ticket de métro.

Ils avaient l’air plus heureux, plus stables et contents de retrouver ces têtes qu’ils n’avaient pas vues depuis longtemps. On se croisait pendant 48 heures, on riait, prenait les nouvelles et certains couples se composeraient même. On comptait les nouveaux divorcés, les futurs ex-mariés et enchainait les “mais tu sais pas ce qu’il fait maintenant, attends que je te raconte”. Les rumeurs allaient bon train, les bouteilles de vin aussi et je me fatiguais de répondre que non, ce n’était pas ma fille mais la progéniture de mes amis que je m’étais engagée à garder pour la journée. Et pendant que je préparais mon Dry January en me saoulant avec mes copines de collège, nos parents s’amusaient du tableau et des décalages de vie qui nous séparaient. Elodie surprenait des applications un peu toc toc dans le téléphone de son fils de 13 ans, Helena était la maitresse d’un homme marié mais adorait ça, Johanne était enceinte du troisième et moi, je les interrogeais sur la stratégie à privilégier sur le long-terme pour occuper un jeudi soir : 1997 était-il trop jeune ?

Les palmarès

C’était donc l’occasion d’écourter les longues réunions familiales avec un alibi de taille : je m’en vais rejoindre mes copains de toujours, je les vois une fois par an. C’était faux, les plus proches se retrouvaient régulièrement (et j’étais abonnée aux messages vocaux hebdomadaires de huit minutes de mes amies) mais il me fallait bien insister pour expliquer à ma grande tante que oui, j’avais mieux à faire que de lui expliquer pourquoi l’âge moyen pour avoir un enfant n’était plus de 27 ans en IDF. J’embarquais mon chien dans mon sac à main le 25 décembre et filais au troquet du coin, où ma garde rapprochée m’attendait patiemment - prête à envoyer les dernières nouvelles de famille. Et tandis que les petits jeunes s’envoyaient des bières coupées à l’eau que l’on payait trois fois moins cher à leur âge, on lançait les festivités autour d’une partie de fléchettes : qui a le plus gros doss ? On se plaignait de nos vies, rassurait les unes puis les autres, parlait cul et parlait bien. Les plus rangées se mordaient les lèvres à l’écoute des nuits torrides des autres, les réprimandes se ressentaient quand l’une émettait des activités extra-conjugales, on riait des prouesses de chacune et rechargeait les batteries pour les mois à venir. On croisait le regard de figures qu’on ne pouvait pas voir en peinture et on re-dessinait les visages de revenants que l’on ne pensait plus vivants. C’était le miracle de Noël, des fêtes et de ces petits événements qui compteraient et influenceraient l’année prochaine.

La liste

L’idée de Justine, la première de la classe, dresser la liste de ce qu’on voulait emmener en 2025. Des rêves, des valeurs, des prénoms et même l’impossible : tout était autorisé sur cette liste, c’était ça la beauté de l’exercice. Et pendant que Justine épelait les lettres “nouveau périnée”, je me sentais submergée par les mots. J’en avais trop. J’ai donc gribouillé ligne après ligne, plié la feuille en quatre morceaux et glissé le tout dans mon manteau. Comme Quatre filles et un jean, on s’enverrait ces notes et on les ressortirait quand l’une d’entre nous aura besoin d’un petit remontant. La mienne était fouillie, mais plutôt prometteuse. Les cigarettes y étaient remplacées par 10 minutes de yoga chaque matin et huit heures de sommeil, il y avait du léopard, Eddie Redmayne, une montre mais surtout des soirées dont on saurait se rappeler. Un teckel, Gisèle, de l’amour et surtout de l’apaisement. Des tenues plus apprêtées, du champagne de façon ponctuelle après février, des voyages et des planches pour glisser sur l’eau, la neige et même le macadam. On y des nouveaux meubles, un autre lieu, un plaid délicat et des bras pour s’y nicher. Deux mains qui se serrent, des rires et des encouragements. Il y avait beaucoup d’amour sur cette liste, et moins de glace - sauf à la pistache, ça il y en aurait toujours. L’empathie, l’ambition et l’adrénaline étaient de mise également. On avait rayé les tocards, les bad vibes et les mauvais payeurs. On y laissait les galères, car elles faisaient partie de la vie et mieux valait les inviter plutôt que de les subir. Des affirmations, pas des “j’aimerais” : j’avais les rênes de ma liste d’invités. Oh 2025, on va s’aimer.

P.A (Plaisirs assumés) : un iPhone 16 pour de belles photos, un appareil argentique Kodak et un jean léopard Rouje


Thirties

Thirties

Par Margaux Rouche

Journaliste et consultante en marketing éditorial, je mêle fiction et témoignages pour que mes lecteurs puissent s’identifier dans mes histoires.

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