S1 Épisode 6 : La musique dans la peau

Je prévoyais initialement de parler de Taylor Swift, de l’ovni intersidéral qu’elle incarne à mes yeux. Je ne suis pas la seule à rester sur le cul face à sa performance sur scène : les médias, mes 30 potes et toutes ces petites filles croisées au concert de jeudi dernier pourraient souligner mes propos. Puis j’ai eu la flemme. 

Thirties
4 min ⋅ 17/05/2024

Overdose

Oui, parce qu’on voit Taylor Swift partout, presque trop. J’ai lu des tonnes d’articles, dont des trucs qui s’approchaient vaguement de ce que j’avais en tête pour cet essai. J’ai eu peur de faire moins bien, et j’ai surtout voulu éviter de taper une overdose de mon artiste adorée. Imaginez le scénario : l’idée de me remarier à Vegas à 80 balais dans sa robe Vivienne Westwood (portée pour la première fois à Paris) me traversait l’esprit pendant son show. Là, je commence à saturer. Et le fait que son merch sur place n’ait pas de casquette mais seulement des sweats à 90 balles m’a chatouillée.

Attention, je n’ai pas du tout envie de quitter le groupe des swifties ou d’oublier cette pré-ado de 11 ans qui m’a l’autre soir remis un bracelet en perles Fearless tout en m’explosant les tympans. Je compte bien continuer à me secouer sur Shake it off sous la douche, simuler que je vis bien mes ruptures sur We’re never going back together et faire semblant de pleurer mains sur le volant en écoutant The Tortured Poets Department (son 11ème album) pour la troisième fois de la semaine.

Le cul entre deux chants : ce que je veux écouter et ce que j’écoute vraiment

Taylor, tu n’es pas au cœur de cet épisode mais ta communauté me donne matière à réfléchir. Vendredi dernier, on m’a lancé : “elle raconte quoi, cette chanson que tu adores” puis “Une playlist Spotify en dit beaucoup sur quelqu’un”.

Je tiens mon angle : j’écoute sans honte donc je suis.

Et oui, on a toutes et tous ses petites faiblesses musicales. On a besoin de rêver, d’assimiler une situation à une chanson. Nos émotions explosent, écouteurs sur les oreilles. Il y a donc un énorme fossé entre les playlists que l’on assume et nos sessions d’écoute cachées. Demandez-moi mes artistes fétiches, je vous réponds sans hésiter les Stones, Florence and the Machine, Saint Motel et peut-être même Lil’Wayne. Allez regarder mes titres les plus écoutés de 2023, vous devinerez que mon quotidien a explosé.

J’accepte de cliquer sur la barre de recherche sur Spotify, et j’explose de rire. Sans surprise, Taylor la loveuse est de la partie mais pas seulement. Il y a We are The World (USA for Africa), Flowers (Miley Cyrus), When I was your man (Bruno Mars) et la BO de Un, dos, très (Buenos Dias Lola). On passe donc d’une initiative humanitaire ravivée par un docu Netflix à une série espagnole des années 2000. Le tout, avec une dose de girl power stipulant que je suis en capacité de m’offrir une botte de tulipes tout en espérant qu’il dépose des fleurs devant la porte. Je reçois enfin un bouquet mais il est pour la voisine d’en face. Bim, je remets le tube de Miley à fond la caisse et je pars acheter trois tournesols.

Le syndrome du personnage principal

C’est en lisant l’essai de mon amie Pauline Machado, Foules sentimentales (paru en avril 2024 aux éditions Les pérégrines, que j’ai découvert la vraie définition de ce trait de personnalité. Bad news, toute personne dotée d’une sensibilité musicale est sujette au syndrome du personnage principal. J’ai trouvé ça intéressant, et j’ai creusé.

Je m’explique : il s’agit de notre tendance à vouloir nous considérer comme la star d’une situation en percevant ceux qui nous entourent comme secondaires ou figurants dans notre propre récit. On ne parle pas forcément d’une attitude narcissique, plus du rêve et de l’espérance de voir un jour son “scénario idéal” se réaliser. Dans celle-ci, on se donne forcément le rôle de l’héroïne, de la personne comblée, de celle qui réussit ou alors de la victime. Il est fréquent que cette imagination narrative nous prenne à l’adolescence. Prenez l’exemple de Titanic… Ladies, vous n’avez jamais repensé cette scène dans la voiture jambes en l’air avec Leonardo DiCaprio ?

La musique pour rythmer nos actes manqués

Quant à la musique, elle peut jouer un rôle crucial dans la représentation ou l'expression des émotions et des sentiments liés au syndrome du personnage principal. Les paroles des chansons en particulier peuvent souvent refléter les pensées et les expériences personnelles des individus. Elle sert de refuge émotionnel ou de moyen d'expression pour ceux qui se sentent déconnectés ou isolés des autres, avec la sensation de vivre dans un récit personnel.

Certains s'approprient les paroles d’une chanson, se retrouvent dans l’histoire de celle-ci. Qu’il s’agisse d’amour, de victoire, de défaite, de discrimination, d’amitié ou de fête : on se souvient tous avoir écouté le même titre en boucle en éprouvant une émotion bien précise et en se répétant “C’est tellement vrai”. A l’époque, les clips faisaient le reste du job en mettant en scène la musique avec des scénarios bien ficelés histoire de pouvoir se projeter. Qui ne se souvient pas du clip Wherever You Will Go de The Calling où nos cœurs chavirent à chaque refrain face à ce déchirement de couple et de cadre pété. Je vous le glisse juste ici, je sais que vous avez très envie de vous le farcir à nouveau.

Screenshots

Je demande à 10 amis autour de moi (des gens honnêtes, pas de tabou) de me partager la capture d’écran de leur moteur de recherche Spotify, Deezer ou Apple Music. Certains ne répondent pas mais tous se justifient de ce qu’ils m’envoient. “Je suis nostalgique en ce moment”, “Désolée, c’était un peu la dépression chez moi”, “J'enchaine les soirées où j’ai la main sur la musique, d’où Francky Vincent”, “tu remarqueras que mes enfants écoutent des morceaux de qualité” ou encore “Vous parlez tous de Taylor Swift et je ne connais pas même une de ses chansons”. Il y a cependant des points communs dans ce que je reçois de la part des femmes millenials : “Comme un homme” du dessin animé Disney, Mulan, et Beyoncé - sans surprise, who run the world de toute façon ?

Confessions intimes

Grande rêveuse que je suis, je promène régulièrement mon teckel nain avec un pas assuré et des musiques encourageantes. Titulaire d’un compte Spotify depuis 10 ans, je suis en mesure de vous souligner les chansons que j’écoutais à quelle période. Mon vieil iPod peut aussi en témoigner : Zazie pour un chagrin d’amour précoce, Placebo en crise d’ado, Amy Winehouse à l’heure de ma première caisse, Bob Marley pour faire plaisir à mon père et Jason Derulo pour sa BO Gossip Girl. Depuis, on oscille entre le reggae pour lutter contre l’anxiété de la vie d’adulte, Rod Stewart pour la nostalgie, Florence Welch ou Julien Doré quand il vaut papillonner et Lizzo s’il faut se secouer. Chaque écoute dessine quelque chose de rassurant, perso ou pro, dont je suis la grande gagnante. Tout le monde est en forme, heureux, et l’histoire se finit bien. Bonne blague.

"La musique est un rêve éveillé" disait Jimi Hendricks. Dans une interview, le guitariste illustrait la capacité des chansons à transporter les auditeurs dans un état d'imaginaire et de transcendance, similaire à celui que l'on peut vivre dans un rêve.

Je finis donc cet essai par vous conseiller de vous laisser, comme nous, transporter par la douceur de vos titres préférés pour accueillir le weekend. Et s’il s’agit de la bande originale des 10 Commandements - pas de complexe, c’est OK.

P.A (Plaisirs assumés) : Le livre de Pauline Machado, Foules sentimentales, et le dernier vinyle de Beyoncé, Cowboy Carter.

Thirties

Par Margaux Rouche

Journaliste et consultante en marketing éditorial, je mêle fiction et témoignages pour que mes lecteurs puissent s’identifier dans mes histoires.

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